Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/94

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plus d’obligation ? Car j’avoue que Thamire pour son bon naturel m’a plus obligé que le pere qui m’a donné naissance, puis que sans avoir eu le contentement du marriage, il a supporté tous les ennuis et toutes les solictudes que la nourriture des enfans peut donner, et ensemble celle que la conduitte des trouppeaux, et des pasturages d’un orphelin dans le berceau (car ce fut en cet aage que je luy fus remis) peut rapporter à qui en reçoit la charge. Il n’a espargné ny peine, ny despense, pour m’eslever, ny soing, ny prudence pour me faire instruire ; de sorte qu’avec beaucoup de raison je le puis appeler mon pere, et il me peut nommer son enfant, puis que j’ay receu de luy tous les offices que ces noms requierent.

Et avouant que je luy ay ces obligations, comment oserois-je ouvrir la bouche contre luy, sans encourir le nom d’ingrat, si ceste dispute dependoit de moy ? J’aymerois mieux estre dans le tombeau de mes peres, et que mon berceau m’eust servy de cerceuil, que, si ceste action dependoit de ma volonté, on me veit opposer à celle de Thamire, Thamire qui m’a fait tel que je suis, Thamire à qui je dois tout ce que je vaux, bref ce Thamire, au service duquel, quand j’aurois dependu tous les jours de ma vie, encore ne sçaurois-je avoir satisfait à la moindre partie de ce que je luy dois. Mais, helas ! je m’en remets à luy-mesme, cest amour qui me commande, luy commande aussi, il vous dira