Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/181

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pour ne point contredire le jugement que vous en avez faict, j’advoue, ma belle dame, la faute dont vous m’accusez. Mais si vous me permettiez de vous dire, non pas pour ma deffence, mais pour la verité seulement, l’occasion qui m’a rendu muet, peut-estre jugeriez-vous que je serois aussi-tost digne de louange que de blasme.

– Maintenant, dit-elle, que je vous ay pardonné, et donné permission de parler, vous pourrez dire tout ce qu’il vous plaira, et Dieu vueille que vous ayez de si bonnes raisons, que je puisse estre persuadée que vous m’avez tousjours aimée comme vous m’aviez promis. – Je diray donc, continuay-je, qu’ayant reçu l’extreme desplaisir que vous pouvez bien penser que je ressentis par la mort de ce maistre qui m’avoit tant aimé, relevé par ses faveurs presque par dessus l’envie de ceux de mon aage, je jugeay que j’offencerois grandement sa memoire, et que cette offence seroit avec raison estimée ingratitude, si je souffrois que quelque petite espece de contentement s’approchast seulement de mon ame. Tant s’en falloit que je deusse ny rechercher, ny recevoir-les grands plaisirs, ou les grandes joyes ! Si vous avez creu quelquefois que le jeune Alcidon ait aimé passionnément la belle Daphnide, vous me ferez bien l’honneur, madame, de croire aussi que le contentement de savoir de ses nouvelles devoit estre l’un des plus grands qu’il peust recevoir