Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/59

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depuis le jugement que la nymphe Leonide donna contre luy, en faveur de Palemon, ressentit tellement la separation de Doris, que n’en ayant plus d’esperance, l’esprit luy en troubla. Il est vray qu’encores avoit il quelquesfois de bons intervalles, et lors il parloit assez à propos ; mais incontinent il changeoit et disoit des choses tant hors de sujet, qu’il esmouvoit à pitié ceux qui le cognoissoient, et contraignoit de rire les autres. Et parce que son mal estoit venu d’amour, cette impression aussi comme la plus vive et la derniere, luy estoit tellement demeurée en la memoire, que toutes ses folies n’estoient que de ce subject, et lors que les bons intervalles luy permettoient de se recognoistre, il ne les employoit qu’à se plaindre de la rigueur de Doris, de l’injustice de Leonide, de la fortune de Palemon, et de son propre malheur. Ces estrangers se teurent pour l’escouter, mais malaisément eussent-ils peu entendre ce qu’il disoit, puis qu’il n’y avoit pas une parole qui se suivist. Luy toutesfois, ravy en sa pensée, sans les voir, s’en vint chantant jusques aupres d’eux, et n’eust esté le hannissement des chevaux, peut-estre eust-il passé sans les voir.

Le chevalier qui parmy ses paroles avoit souvent ouy repliquer le nom d’Amour, de beauté et de passion, cogneut bien de quel mal il estoit tourmenté, et desireux de sçavoir en quelle contrée il estoit, s’estant relevé avec l’ayde de son escuyer, il luy