Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/720

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parce que l’on me vouloit forcer d’espouser Clorange, le plus mal faict de tous les hommes de la Gaule Cisalpine. Les autres, qui pensoient estre plus fins, alloient murmurans contre la femme de Rithimer, disans qu’elle m’avoit fait desrober, jalouse de l’amitié que son mary me faisoit paroistre ; et cette derniere opinion passa si avant que Rithimer le creut, se souvenant qu’en semblable occasion elle en avoit desja usé ainsi. Et cela fut cause que, quand ma mere s’alla jetter à ses pieds, pour le supplier de me faire chercher avec diligence, il luy dit avec un sousris de colere : Allez, allez, madame, et si vous ne sçavez ou est vostre fille, demandez-la à vostre parente. Et sans luy faire autre response, se tourna de l’autre costé. Cela fut cause que ma mere redisant à sa femme ce qu’il luy avoit respondu, et le peu de conte qu’il en avoit fait, et d’ailleurs, ayant assez recogneu l’affection qu’il me portoit, elle creut qu’asseurément Rithimer m’avoit fait desrober pour me tenir cachée en quelque lieu de plaisir.

Quant à ma mere, elle ne sçavoit que soupçonner : une fois, elle croyoit que Rithimer m’eust ravie, l’autre, que c’estoit sa femme qui par jalousie m’eust fait desrober ; car de penser que ce fust pour Clorange, ne sçachant point que j’eusse esté advertie de la resolution qu’elles avoient faicte, elle ne pouvoit s’imaginer que c’en fust la cause. Et ainsi pour ne sçavoir lequel croire, elle