Aller au contenu

Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gardait un air discret et presque mystérieux de livre qui aurait conservé le culte de son secret.

Tout d’abord, d’une sorte de sachet fait de deux pages légèrement collées sur les marges et ouvertes avec précaution, un ruban déteint, fané, décoloré, un ruban dont on n’aurait pu difficilement discerner la couleur primitive, rose ou violette, et deux cheveux longs, fins et blonds, avaient glissé. Trouver un ruban, une fleur ou même une tresse de cheveux dans un vieux livre, cela n’a rien de bien rare ; ce fut sans doute la date de l’almanach, 1789, qui fit regarder un instant avec émotion par le fureteur et ensuite replacer dans le sachet, ou ils étaient restés pressés pendant tant d’années, ces cheveux et ce ruban fané. Mais en feuilletant le livre avec un intérêt déjà vaguement éveillé, des annotations au crayon apparurent de page en page, des renvois sautant aux yeux, des vers soulignés qui semblaient se répondre. En suivant avec ordre les indications crayonnées : « Page 159 » ou « Voir réponse p. 28 », en sautant d’une épigramme du chevalier de P… « contre un auteur qui avoit fait supprimer des écrits ou il étoit maltraité », à un impromptu de M. Marmontel, secrétaire perpétuel de l’Académie française. « à Mme la comtesse de F… qui venoît de jouer de la harpe », en passant d’une ode anacréontique de M. le comte d’Aguilar, capitaine au régiment Royal-Pologne-Cavalerie, à Sophie abandonnée, chanson par M. Carnot, capitaine au corps royal du génie, de l’Académie de Dijon, à travers les deux cents pièces plus ou moins gracieusement rimées de ce recueil aimé des classes versifiantes, — bourgeoisie lettrée ou aristocratie pinçant de la petite lyre, — peu à peu l’ensemble des vers soulignés parut constituer une sorte de dialogue entre deux lecteurs, ou plutôt entre un lecteur et une lectrice qui se repassaient le livre l’un à l’autre et causaient avec une certaine animation d’abord, puis plus doucement, par l’organe des poètes de l’almanach, en empruntant sans façon la lyre de M. de Florian, de l’Académie française, celle du « petit vieillard », de la ba-