Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/131

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En cet instant, le brouillard commençant à se dissiper ; une volée de coups de canon part d’une des batteries d’Augereau, un sans-patience qui veut toujours ouvrir le premier la conversation, et le tremblement commence. Je vois Sénot lever sa canne, j’entends ronfler la peau d’âne et les grenadiers poussent en avant.

Un coup de soleil traverse la plaine et voilà que toute la campagne s’aperçoit à perte de vue couverte de troupes. Sur les hauteurs, en avant de nous, les Prussiens, appuyés à des bois, garnissent les villages en bel ordre… Des batteries en position partout, des divisions couvrant les défilés à emporter, une quantité de cavalerie en arrière, des escadrons et des régiments en colonnes… J’ai à peine le temps de me dire que ça va être dur d’enlever toutes ces positions et de passer sur le corps de tous ces gaillards qui vous ont une allure respirant la confiance, j’ai à peine le temps de jeter un coup d’œil sur nos troupes que l’affaire s’engage sur toute la ligne. En un clin d’œil la fumée couvre tout, nos batteries en retard se portent au grand galop sur la crête de la colline et ouvrent le feu l’une après l’autre.

Je ne vois plus rien. Je traverse un village enlevé par l’infanterie de Soult, parmi des tas de morts et de blessés entassés dans toutes les ruelles et dans tous les jardins, je suis une plaine ou cette infanterie a été engagée contre des hulans et dragons prussiens et en a couché par ses feux de file plusieurs centaines dans les sillons, et je rencontre un hameau en flammes. Impossible d’aller plus avant, les Prussiens se cramponnent à un bois d’où le corps de Soult s’efforce de les chasser. Un tapage infernal. Six