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Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/56

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pension — du trouble hypnotique occasionné par la fixité de mon regard, À quinze ans, au collège, lorsque j’étais surpris en faute, je parvenais sûrement à endormir mes juges-professeurs, et mes petits condisciples me nommaient le Diable lanceur de sable, car à peine les avais-je regardés avec attention qu’ils commençaient à sentir sous leur paupière rouler la poudre aveuglante du sommeil. — Je prenais plaisir, je l’avoue, à cultiver ces dons surnaturels de ma pupille phosphorées, comprenant toute la puissance suggestive que je pourrais tirer de cette domination par l’œil uni à la volonté.

« Je ne vous dirai point toutes les bonnes fortunes de ma vingtième année, toutes les passades obtenues par mes passes magnétiques, les éréthismes ou hyperesthésies amoureuses, le donjuanisme féroce de ma fascination. Pendant huit années environ, je vécus d’Anvers à Amsterdam avec la fougue d’un Casanova doublé d’un Cagliostro, considéré comme un homme fatal, comme un débauché funeste qui portail un philtre d’amour dans la flamme claire de ses œillades ; puis enfin, le temps aidant, je m’assagis et me mariai au détour de la trentaine ; aujourd’hui je ne provoque plus guère l’assoupissement que chez moi, dans mon milieu conjugal, le soir, sous la lampe, lorsque ma femme et ma belle-mère se lancent des regards inquiets sur les causes d’une de mes sorties nocturnes. Alors, par esprit de conciliation et en horreur des scènes inutiles et contraires aux bonnes fonctions digestives, je les anéantis très provisoirement d’ailleurs d’une