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Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/226

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seigneur. Il prenait ses mesures pour manger chaque année en primeurs les premières fèves de marais et les premières fraises.

Merle fit la fortune de bien des théâtres qui n’ont pas fait la sienne ; il fut quelque temps directeur de la Porte-Saint-Martin, puis du théâtre de Strasbourg, et se garda bien de s’y enrichir.

Merle est une des physionomies les plus aimables, les plus souriantes de cette galerie d’originaux qu’on coudoyait à chaque pas, dans cette vie de coulisses, de cabarets et de journaux.

Que nous avons souvent, mon ami Merle et moi, les coudes sur la table, portant tous deux de temps en temps sur le bord de nos lèvres un verre mousseline coloré par un grand vin, passé de bonnes heures à nous égayer du genre humain, à rire des sottes tristesses de l’opulence, des gais expédients du pauvre diable sans le sou, des hauts et des bas des gens d’esprit, et des crocs-en-jambe de l’amour !

Merle avait le laisser-aller, je ne dirai pas d’un enfant (l’enfant est l’animal le plus résistant, le plus volontaire, le plus capricieux et le plus criard de la nature entière, j’entends encore les cris des enfants trouvés), Merle avait le laisser-aller d’un cœur sans une seule mauvaise passion et sans le moindre intérêt personnel ; il a fait des vaudevilles pour déjeuner et pour diner, et parce qu’on lui a dit : « Faites des vaudevilles. » Si on lui eût dit, en l’encourageant : « Faites des comédies, » il eût écrit, du style de Lesage, de grandes comédies qui eussent honoré son nom et la littérature de son temps et de son pays.