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l’épiderme jusqu’au fond du cœur, cette population curieuse de joueurs de profession, passant à chaque minute du désespoir à la joie, finissant toujours par lâcher la proie pour l’ombre, population nombreuse aux mœurs exceptionnelles, et dont aucun moraliste n’a, je crois, raconté la vie pratique, et n’a dit ni toutes les folies ni tous les entraînements.

Dès que je vis tous les volumes dont se compose la première bibliothèque d’un étudiant, je compris qu’il fallait se donner tout entier à l’étude ; qu’une vie tranquille, sobre et presque sans distractions, était une condition nécessaire pour bien apprendre et pour bien savoir. Je compris qu’il fallait se lever matin, fuir les trop excitants dîners et remonter chaque soir dans sa mansarde pour n’y trouver d’autre société que ses livres.

L’étude de l’anatomie, l’étude de la pathologie, manquent de gaieté. J’avais recours à deux procédés pour combattre tout entraînement de dissipation et de plaisir.


Avant de rouvrir le soir mes livres de médecine, je me permettais, pendant une heure au moins, la lecture d’un de nos grands écrivains. C’est ainsi que j’ai lu et relu les écrivains du dix-septième siècle, Pascal, Racine, Saint-Simon, Bossuet, Corneille, Molière ; ceux du dix-huitième siècle, Montesquieu, Rousseau, Voltaire, l’abbé Prévost, Bernardin de Saint-Pierre et tant d’autres. Voilà mon premier procédé !


Le second consistait à n’avoir jamais un sou dans ma poche. La misère a fait beaucoup de grands hommes.