Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le premier du mois, je recevais vingt francs de mes parents ; ce jour-là, je vivais en. grand seigneur. Mes vingt francs ne survivaient pas à la journée ; je dînais chez le restaurateur avec quelques amis ; j’allais au théâtre, et je finissais souvent ma soirée au café du Roi, situé alors au coin de la rue Richelieu et de la rue Saint-Honoré. On y rencontrait quelques journalistes, quelques vaudevillistes et quelques gens d’esprit : les frères Dartois, Dittmer, Cavé, M. Duvergier de Ilauranne, auteur ou collaborateur de trois vaudevilles : Un Mariage à Gretna-Green, le Jaloux comme il y en a peu, et Monsieur Sensible ; Ferdinand Langlé, Roehefort, Rousseau, l’ami célèbre de M. Romieu, et tant d’autres qui ne sont plus.

À un premier de mois, je me trouvai plus riche que de coutume : j’avais vendu un squelette très-complet vingt-cinq francs ; je pus ce jour-là inviter deux amis à diner. Rousseau était un de mes convives.

Rousseau tint à me rendre cette politesse : le jour fut pris ; le rendez-vous était à six heures au café du Roi. Rous étions trois, Rousseau, moi et un jeune élève en médecine, qui mourut d’une phthisie galopante, des suites de fatigues au grand soleil, pendant les journées de Juillet.

Tout le monde fut exact au rendez-vous. Notre amphitryon avait l’air triste, embarrassé ; il se décida à nous dire : « Je vous ai invités à diner ; mais ma bourse est vide. »

Dans cette situation alarmante, le jeune médecin ouvrit un avis : « Il est probable (s’adressant à moi) que nous sommes tous deux dans la position de fortune de