Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/89

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le fils est à Alger. J’ai constaté un état de santé déplorable, de l’amaigrissement, de la pâleur, un pouls faible, de l’insomnie, des défaillances, l’estomac supportant à peine quelques cuillerées de bouillon. On avait eu déjà recours à plus d’un traitement actif ; je dis à la malade : « Il vous faut voyager, et passer quelques mois sous un climat chaud ; partez pour Alger. » Ce conseil, donné devant toute une famille inquiète, ne fut repoussé par personne, et quant à la malade, elle songe immédiatement aux préparatifs du départ ; dans sa préoccupation, elle oublie toutes ses douleurs ; un vif appétit l’entraîne à manger ; sa physionomie respire la gaieté, s’anime et se colore. Elle part : toutes les fatigues du voyage ne sont qu’un jeu ; elle embrasse son fils, et ce tendre cœur de mère rassuré et plein d’ivresse suffit à donner congé à toutes ces maladies nerveuses rebelles à la science du médecin.

La nostalgie, ce mal du pays dont on peut mourir, suscite les symptômes les plus graves, et tous ces symptômes cessent par enchantement dès qu’on a repris le chemin de la ville ou du village qu’on regrette.

Il est une maladie morale qui n’est pas l’hypocondrie, qui n’est pas la manie du suicide, qui n’est pas cette tristesse prétentieuse, et un instant à la mode, des Werther et des René ; la maladie morale dont je veux parler, c’est l’ennui.

L’ennui peut jeter l’adynamie, l’abattement, le désordre dans la vie des individus, dans toute une armée, dans toute une nation. L’ennui peut conduire l’individu jusqu’à une mortelle consomption, entraîner une armée à l’énervation ou à la révolte, et peut-être même pous-