Page:Va toujours.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Si, Mademoiselle, releva René en riant, la différence sera en ma faveur. Je vous offrirai la chambre de ma tante Nicole et mes servantes pour vous servir.

Une véritable cascade descendait la rue Baudrière. Au grand pont, la nuit était tout à fait venue, le ciel noir d’encre, zébré d’éclairs car l’orage semblait revenir. Les deux sœurs étaient épuisées de cette longue traversée de la ville au milieu d’obstacles, les pieds dans l’eau, trébuchant sur les pavés, les accablait. L’appui de leurs guides devenait indispensable. Agathe avait les larmes aux yeux, Clotilde ne riait plus. Ils ne rencontraient personne, seul l’allumeur de réverbères courait, se hâtant de toutes ses forces. Elles franchirent la place de la Laiterie, le difficile passage de la montée des Forges où l’eau se précipitait à flots. La rue de la Cencerie, le long du mur de l’Ecole des Arts, fut un repos relatif, une lanterne suspendue au milieu éclairait vaguement. Enfin, ils furent au tertre Saint-Laurent, la rue Belle-Poignée en pente charriait des graviers qui frappaient les jambes des infortunées jeunes filles à bout de souffle. Il était temps d’arriver, sur le seuil de la porte du numéro 3, les trois servantes inquiètes guettaient le retour de leur maître.

— Enfin, voilà Monsieur !

— Oui mes « mies » [1] et avec de la compagnie, vite un bon feu et un bon souper.

René et son compagnon faisaient passer le seuil aux deux soeurs. Jeanneton marchait devant munie de la lanterne. On traversa ainsi la cour et on dût entrer par la cuisine, seule pièce ouverte sur le dehors. La maison fermée à cause de la tempête. Là, il faisait chaud et clair, les sarments dans la grande cheminée flamboyaient.

C’était le bien-être reconquis. Agathe était très pâle, Clotilde rouge de fatigue, retrouvait son sourire.

— Mesdemoiselles, expliquait René, je vous en prie, soyez ici chez vous. Denise et Jeanneton vont vous retirer vos chaussures et vous conduire dans l’appartement de ma tante Nicole qui sera le vôtre. Vous aurez là ce qu’il vous faut pour remplacer vos vêtements trempés, j’ai conservé les chers souvenirs... Vous nous ferez l’honneur de venir souper quand nous serons tous prêts. Ensuite vous dormirez tranquillement et demain nous vous reconduirons chez vous.

— Monsieur, répondit l’aînée, on ne saurait agir avec plus de délicatesse que vous. Nous acceptons vos bontés avec reconnaissance.

Les deux amies se retirèrent aussitôt et les domestiques

  1. Vieux terme employé pour amie