Page:Va toujours.djvu/38

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À sept heures, quand Denise fit entendre la clochette d’argent qui appelait au déjeuner, les deux sœurs arrivèrent dans la salle. Leur hôte les y attendait. Apathe avait dû remettre le costume de la tante Nicole, elle s’en excusa, mais René sourit avec mélancolie :

— je la revoie en vous, chère Mademoiselle. Elle vous aimerait.

Clotilde avait pris un costume moins sévère. Une guimpe blanche enveloppait son cou. Le maître de maison expliqua le départ du Général et parvint à convaincre ses invitées de l’impossibilité de s’en aller si vite chez elle. Il enverrait Pascal en Reculée chercher des chaussures et rassurer la pauvre Louison sur le sort de ses maîtresses qui ne rentreraient qu’après-midi pour donner aux rues le temps de devenir praticables.

Agathe ne savait quelle contenance faire, elle osa une explication timide pendant que sa sœur, chaussée des sabots de Nanette, allait dans le jardin avec Denise, espérant l’aider à cueillir des haricots verts couchés par l’averse et des raisins roses à la treille.

— Monsieur, dit l’aînée, je préférerais partir à l’instant. Vous savez que le monde est curieux, malveillant, notre séjour chez vous pourrait être interprété…

René sourit :

— Oh ! Mademoiselle, n’y prenez garde. Nous sommes vous et moi au-dessus des mauvais propos. Agissons donc comme les circonstances le veulent, sans souci des autres. Ne vous mettez en peine de rien, je vous en supplie, je saurais d’ailleurs, le cas échéant, riposter.

— Ma sœur est encore jeune…

— Et moi, je ne le suis plus, malheureusement. Sans les vingt-cinq ans environ qui me font son aîné, j’oserais vous avouer qu’elle a fait sur moi une impression profonde.

11 s’arrêta, rouge comme un amoureux de vingt ans.

Agathe ne put s’empêcher de sourire. Il reprit :

« Ne vous moquez pas de moi, par grâce Mademoiselle. Ecoutez une prière. Laissez-moi vous demander de recevoir ma belle-sœur, Madame Michel Semtel, qui vous parlera à cœur ouvert… Je ne me suis jamais marié, serait-il réellement trop tard pour espérer au soir de ma vie, un peu de bonheur, un foyer…

Agathe aimait tendrement sa sœur, elle avait souvent regretté que la délicieuse créature si bien faite pour aimer, élever une famille, connaître, en somme, l’existence normale d’une femme, s’étiole dans l’isolement du cœur. Elle voyait en cet homme loyal, bon et généreux l’appui qui la tranquilliserait. Il était âgé mais robuste, d’une souche qui avait fait