Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/128

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d’être ému, ou étonné, ou amusé par des apparences théâtrales ; et, sans doute, il existe de très beaux monuments qui émerveillent les yeux quoiqu’ils soient faits d’une grossière matière, d’un noyau de concrétion revêtu d’enduits menteurs, de marbres appliqués, d’ornements rapportés. Mais, au regard de l’esprit, ces bâtisses ne vivent pas. Elles sont des masques, des simulacres sous lesquels se dissimule une misérable vérité. Mais, au contraire, il suffit au connaisseur de considérer une simple église de village, comme il en existe encore des milliers en France, pour recevoir le choc du Beau total, et ressentir, en quelque sorte, le sentiment d’une synthèse.

Nos constructeurs des grandes époques ont toujours visiblement conçu leurs édifices d’un seul jet, et non en deux moments de l’esprit ou en deux séries d’opérations, les unes relatives à la forme, les autres à la matière. Si l’on me permet cette expression, ils pensaient en matériaux. D’ailleurs la magnifique qualité de la pierre dans les régions où l’architecture médiévale la plus pure s’est développée, leur était éminemment favorable à ce mode de concevoir. Si l’on considère la suite des découvertes et des réalisations qui se sont produites dans cet ordre de choses du xiie au xive siècle, on assiste à une évolution bien remarquable, qui peut s’interpréter comme une lutte entre une imagination et des desseins de plus en plus hardis, un désir croissant de légèreté, de fantaisie et de richesse, et d’autre part, un sentiment de la matière et de ces propriétés qui ne s’obscurcit et ne s’égare que vers la fin de cette grande époque. Ce développement est marqué par l’accroissement de la science combinée de la structure et de la coupe des pierres, et s’achève par des prodiges et par les abus inévitables d’une virtuosité excessive. Mais