Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/129

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avant d’en arriver à cette décadence, que de chefs-d’œuvre, quels accords extraordinairement justes entre les facteurs de l’édifice ! L’art n’a jamais approché de si près la logique et la grâce des êtres vivants, j’entends, de ceux que la nature a heureusement réussis, que dans ces œuvres admirables qui, bien différentes de celles dont la valeur se réduit à la valeur d’un décor de théâtre, supportent, et même suggèrent et imposent, le mouvement, l’examen, la réflexion. Circonstance singulière : nous ignorons entièrement les méthodes, la culture technique et théorique, les connaissances mathématiques et mécaniques de leurs grands créateurs.

Je signalerai au passage deux caractères très importants de leurs ouvrages, qui illustreront avec précision ce que je viens de dire au sujet de leur manière de concevoir. Entrez à Notre-Dame de Paris, et considérez la tranche de l’édifice qui est comprise entre deux piliers successifs de la nef. Cette tranche constitue un tout. Elle est comparable à un segment de vertébré. Au point de vue de la structure comme au point de vue de la décoration, elle est un élément intégrant complet, et visiblement complet. D’autre part, si vous portez votre attention sur les profils des formes, sur le détail des formes de passage, des moulures, des nervures, des bandeaux, des arêtes qui conduisent l’œil dans ces mouvements, vous trouverez dans la compréhension de ces moyens auxiliaires si simples en eux-mêmes, une impression comparable à celle que donne en musique l’art de moduler et de transporter insensiblement d’un état dans un autre une âme d’auditeur. Mais il n’est pas besoin d’édifices considérables pour faire apparaître ces qualités supérieures. Une chapelle, une maison très simples suffisent, dans dix mille villages, à nous représenter des témoins séculaires