Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/130

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de ce sentiment de l’intimité de la forme avec la matière, par laquelle une construction, même tout humble, a le caractère d’une production spontanée du sol où elle s’élève.

Après tout ce que j’ai dit, on ne sera point étonné que je considère la France elle-même comme une forme, et qu’elle m’apparaisse comme une œuvre. C’est une nation dont on peut dire qu’elle est faite de main d’homme, et qu’elle est en quelque manière dessinée et construite comme une figure dont la diversité de ses parties s’arrangent en un individu. On pourrait dire aussi qu’elle est une sorte de loi, qu’un certain territoire et une certaine combinaison ethnique donnent à un groupement humain qui ne cesse au cours des âges de s’organiser et de se réorganiser suivant cette loi. L’effet le plus visible de la loi qui ordonne l’existence de la France est, comme je l’ai dit plus haut, la fonction de Paris, et la singularité de son rôle. Ce phénomène capital était nécessaire dans un pays qui n’est point défini par une race dominante, ni par des traditions ou des croyances, ni par des circonstances économiques, mais par un équilibre très complexe, une diversité extrêmement riche, un ensemble de différences des êtres et des climats auxquels devait répondre un organe de coordination très puissant. Quant au caractère de la nation, on le connaît assez. Elle est vive d’esprit, généralement prudente dans les actes, mobile à la surface, constante et fidèle en profondeur. Elle néglige assez facilement ses traditions, garde indéfiniment ses habitudes ; elle est sagace et légère, clairvoyante et distraite, tempérée à l’excès, et même infiniment trop modérée dans ses