Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/74

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chaient rien qu’ils n’eussent déjà trouvé. C’est à mes yeux le pire usage que l’on puisse faire de l’esprit qu’on a.

Ce m’est toujours un sujet d’étonnement que l’entrée en guerre de la pensée avec toutes ses forces, à l’appel d’un terme, qui, simple, inoffensif, et même clair dans l’ordinaire des occasions, devient un monstre de difficulté dès qu’on le retire de son élément naturel, qui est le cours des échanges et des transmissions particulières, pour en faire une résistance. Sans doute le phénomène le plus banal, une pomme qui tombe, une marmite dont le couvercle se soulève, peut introduire dans un esprit très disposé à approfondir ses observations, une origine de méditations et d’analyses ; mais ce travail mental ne cesse de se reprendre au phénomène lui-même et de lui chercher, pour le traiter selon les voies de l’intellect, cette forme dont parlait Abel que j’ai cité, et qui fait que les problèmes sont de véritables problèmes, des problèmes qui n’exigent pas un éternel retour sur leurs données.

Je ne vois donc point de Problème de la liberté ; mais je vois un problème de l’action humaine, lequel ne me semble pas avoir été scrupuleusement et rigoureusement énoncé et étudié jusqu’ici, même dans les cas les plus simples. Un acte, excité à partir d’une situation psychique et physiologique de l’individu, est certainement une suite de transformations des plus complexes, et dont nous n’avons encore aucune idée, aucun modèle : il est possible que l’étude de cet acte et les connaissances qui pourront s’y joindre, fassent apparaître quelque clarté dans cette ténébreuse affaire, dont l’origine est en deux propositions que voici conjointes : Comment se peut-il que nous puissions faire ce qui nous répugne et ne pas faire ce qui nous séduit ?