Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/78

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qu’il a vécues… Mais êtes-vous quelquefois revenu, à la manière dont on revient sur les voies de l’esprit, sur quelqu’un de vos propres actes ?… J’entends sur l’un de ceux que l’on traite communément de libres et sans approfondir le mot plus que ne fait le monde, et que la loi. Si c’était a refaire ! dit-on souvent. Pouvez-vous imaginer avec précision ce corrigé d’une vie ?

— Mal. Il m’est inconcevable que j’aie été libre… Mais je n’en pense pas moins d’autre part que j’aurais pu mener tout autrement mes affaires.

— Et vous dites, comme chacun : Si j’avais su… Mais dans la plupart des cas on savait bien, et tout s’est passé comme si l’on n’avait pas su.

— Ah ! ceci est diabolique. Comment voulez-vous reconstituer l’accidentel et ses effets instantanés ?

— Et quoi cependant de plus déterminant dans l’action ?

— Prenez garde. Nous allons tomber dans les difficultés les plus classiques. À peine entrons-nous dans l’action, (ou plutôt dans la pensée de l’action), nous y trouvons ce qu’on trouve dans le monde : un horrible mélange de déterminisme et de hasard…

— Mais d’où peut donc venir cette idée que l’homme est libre ; ou bien l’autre, qu’il ne l’est pas ?

— Je ne sais si c’est la philosophie qui a commencé ou bien la police. Après tout, il s’agit ou d’innocenter entièrement les actes de l’homme, quels qu’ils soient, et de l’assimiler à un mécanisme ; ou bien de le rendre, comme on dit, responsable, c’est-à-dire de lui conférer la dignité de cause première : on y