Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/79

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a employé la logique, le sentiment, toutes les sciences de la nature, et l’on a dépensé d’immenses ressources de savoir, d’ingéniosité, d’éloquence, à poursuivre l’une ou l’autre démonstration. Observez que ce grand procès, s’il a la moindre conséquence, et s’il vaut d’avoir été engagé, n’intéresse pas seulement le moraliste ou le métaphysicien : tout l’orgueil de l’artiste, toute la vanité bien connue des poètes est enjeu. Une œuvre est un acte.

— Mais alors, un homme qui se dit inspiré, un lyrique qui se vante de l’être, se vante de n’être pas libre : il suit une ligne qui n’est pas de lui.

— Le comble de cette prétention d’être cause sans l’être, de s’enorgueillir d’un ouvrage tout en l’attribuant à quelque source avec laquelle on ne se confond pas du tout, se trouve dans les faiseurs de romans qui prétendent ne faire que subir l’existence de leurs personnages, être habité par des individus qui leur imposent leurs passions, les entraînent dans leurs aventures et qui par là confèrent à leurs fabrications je ne sais quelle nécessité substantiellement… arbitraire. Observez bien que je ne puis exprimer ceci qu’au moyen d’une contradiction. Ils seraient bien fâchés si on leur répondait qu’ils n’ont donc aucune sorte de mérite : pas plus de mérite que la table où viennent les esprits frapper les belles choses que l’on sait…

On peut tout dire à partir de ce mot qui éveille dans l’esprit images et idées dont l’instant seul, les circonstances, ou quelque interlocuteur disposent. Tantôt on peut penser que la liberté est une propriété des organismes dont l’existence dépend