Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/81

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liberté dans la contrainte que l’on s’impose… en vue d’autres avantages.

Ici paraît le nœud même de ces questions. Il réside dans ce petit mot se. Se contraindre. Comment peut-on se contraindre ?

Mon sentiment, s’il m’arrivait de pousser à l’extrême l’analyse de cette affaire, serait de chercher à éliminer la notion, ou la notation trop simple : moi. Le Moi n’est relativement précis qu’en tant qu’il est une notation d’usage externe. Je dis identiquement : mes idées… mon chapeau… mon médecin… ma main…

Mais changeons la mise au point, rentrons en nous-même. On trouve alors, ou il se trouve, que mes idées me viennent je ne sais comment et je ne sais d’où… Il en est de même de mes impulsions et de mes énergies. Mes idées peuvent me tourmenter comme se combattre entre elles. Moi lutte avec moi. Mais dire mes, mon, ma, quand d’autre part ces interventions ou ces présences se comportent comme des phénomènes, ceci montre la nature purement négative de la notation. Je puis renoncer à mon opinion au profit de la vôtre. Ma douleur, ma sensation la plus intime et la plus vive peut cesser et, abolie, j’en parlerai encore comme mienne. Elle est cependant devenue un souvenir fonctionnellement identique au souvenir d’une perception quelconque.

Donc, la notation moi ne désigne rien de déterminé que dans la circonstance et par elle ; et s’il demeure quelque chose, ce n’est que la notion pure de présence, de la capacité d’une infinité de modifications. Finalement ego se réduit à quoi que ce soit.