Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/83

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Se délivrer ?…

La liberté, sensation que recherche à sa guise chacun. L’un dans le vin ; l’autre dans la révolte ; et tel dans une philosophie ; et tel dans une amputation comme Origène. L’ascétisme, l’opium, le désert, le départ, seul avec une voile. Le divorce, le cloître, le suicide, la légion étrangère, les mascarades, le mensonge…

Tantôt l’accroissement de notre pouvoir, tantôt la réduction de notre vouloir, autant de procédés échappatoires qui se dessinent à l’esprit ; les uns par action sur les choses et sur les êtres ; les autres par action sur soi.

Et quand on est vraiment le plus libre, c’est-à-dire quand le besoin et les désirs sont en équilibre avec les pouvoirs, la sensation de liberté est nulle.

Il est extraordinaire qu’un homme qui marche au péril grave, à la douleur, à la mort, à la honte, puisse physiquement marcher ; que sa moelle et ses muscles l’y portent.

Supposé qu’il fût impossible, étranges conséquences.

Que de choses fondées sur une sorte de simulation à effets réels et énergiques, pouvoir de faire musculairement le contraire de ce que veut et de ce que fait le plus profond de l’être. À contrecœur. Parfois l’acte qui coûte exige un grand effort mécanique. Parfois une dépense insensible, comme de dire oui, de donner une signature. Mais alors il arrive que ce petit mouvement se charge d’un tel poids étranger que le oui est un souffle, et la signature un griffonnage.