Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/84

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La Politique nous parle aussi de liberté. Elle parut d’abord n’attacher à ce terme qu’une signification juridique. Pendant des siècles, presque toute société organisée comprenait deux catégories d’individus dont le statut n’était pas le même : les uns étaient des esclaves ; les autres étaient dits libres. À Rome, les hommes libres, s’ils étaient nés de parents libres, s’appelaient ingénus ; s’ils avaient été libérés, on les disait libertins. Beaucoup plus tard, on appela libertins ceux dont on prétendait qu’ils avaient libéré leurs pensées ; bientôt, ce beau titre fut réservé à ceux qui ne connaissaient pas de chaînes dans l’ordre des mœurs.

Plus tard encore, la liberté devint un idéal, un mythe, un ferment, un mot plein de promesses, gros de menaces, un mot qui dressa les hommes contre les hommes ; et généralement, ceux qui semblent le plus faibles et se sentent le plus forts contre ceux qui semblent le plus forts et ne se sentent pas le plus faibles.

Cette liberté politique paraît difficilement séparable des notions d’égalité et de souveraineté ; difficilement compatible avec l’idée d’ordre ; parfois avec celle de justice.