Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/85

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Les nœuds et les interférences de ces abstractions se manifestent plus clairement si l’on décompose le semblant d’idées liberté en ses différentes espèces. La liberté de penser, c’est-à-dire de publier, ne s’accommode pas toujours avec l’ordre. La liberté du commerce, comme celle du travail, peuvent offenser la justice et l’égalité. La Nation, la Loi, l’État, l’École, la Famille, chacun selon sa nature, sont autant de puissances restrictives des impulsions de l’individu.

En somme, ce serait une recherche assez intéressante, et peut-être féconde, que celle-ci : déterminer ce qui est possible à un individu dans un pays libre, — ce qui lui reste de jeu quand il a satisfait à toutes les contraintes qui lui sont imposées par le bien public.

Politique et liberté de l’esprit s’excluent ; car politique, c’est idoles.

Je trouve que la liberté de l’esprit consiste dans un automatisme particulier qui réduit au plus tôt les idées à leur nature d’idées, ne permet pas qu’elles se confondent avec ce qu’elles représentent, les sépare de leurs valeurs affectives et impulsives, lesquelles diminuent ou falsifient leurs possibilités de combinaison. Ces dites valeurs ne sont liées à des idées que par accident. Une idée triste se décompose en une idée qui ne peut pas être triste et une tristesse sans idées.

Il ne faut pas confondre cette liberté de l’esprit avec ce que l’on nomme communément la liberté de penser, ou avec la liberté de conscience. Celles-ci sont tout extérieures : il s’agit de mani-