Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/86

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festations ou d’actions, les unes et les autres généralement peu compatibles, chez ceux qui s’en inquiètent, avec la liberté de l’esprit définie ci-dessus.

Un esprit vraiment libre ne tient guère à ses opinions. S’il ne peut se défendre d’en voir naître en soi-même, et de ressentir des émotions et des affections qui semblent d’abord en être inséparables, il réagit contre ces phénomènes intimes qu’il subit : il tente de les rendre à leur particularité et instabilité certaines. Nous ne pouvons, en effet, prendre parti qu’en cédant à ce qu’il y a de plus particulier dans notre nature, et de plus accidentel dans le présent.

L’esprit libre se sent inaliénable.

Je me trouve bien en peine de me rendre nette et précise l’idée de liberté politique. Je suppose qu’elle signifie que je ne dois obéissance qu’à la loi, cette loi étant censée émaner de tous et faite dans l’intérêt de tous. Que si elle me gêne ou me blesse, je ne dois pouvoir accuser et haïr personne : je la subis comme je fais celles de la nature.

Quand je ne puis du tout assimiler la loi civile à la loi naturelle, soit qu’elle prenne un visage et paraisse l’expression d’une volonté particulière qui ne l’emporte sur la mienne que par la puissance d’action ; soit que cette loi, quoique émanée de tous, me semble absurde ou atroce, alors j’estime que ma liberté politique est lésée…

Mais c’est que j’ai appris à la concevoir. Cette notion est inculquée. On a vu des esclaves souffrir d’être affranchis. On