Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/93

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entendez aisément ce qu’est l’État dans ce propos, car vous voyez un homme et vous constatez son action. Partons de cette image. Opérons à présent sur cette idée d’un homme tout-puissant. Retranchez tout ce qu’il a d’humain sans rien soustraire à sa puissance : supposez-le exempt de la vieillesse et de la mort : le temps n’a pas de prise sur lui :

Vainement pour les dieux il fuit d’un pas léger.

Ce n’est pas tout. Ôtez-lui maintenant toute sensibilité : cet immortel n’a pas besoin de cœur… Ni sens, ni cœur… Quant à l’esprit… Ma foi, je ne sais trop ce que peut être l’esprit de l’État ?

— Votre État est un monstre, me dit ce jeune homme. Nous ne vivons que de ce qu’il veut bien nous abandonner. Nos biens, nos vies, nos destinées, ce ne sont que des concessions précaires qu’il nous fait. Je comprends que des mouvements de délivrance répondent de temps à autre à l’inhumanité croissante du système. L’homme s’étonne et tremble devant lui comme il s’émerveille et s’émeut devant ces énormes machines qu’il a construites.

— Ajoutez ceci : si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons.

Certains individus délicats sont choqués par l’idée d’eux-mêmes qui est impliquée dans les harangues et les raisonnements politiques qu’on leur fait entendre. Il en est qui ne peuvent souffrir que le ton s’échauffe, et que l’on profère certains mots