Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/101

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est productif de fiction, et remarquez que la fiction c’est notre vie. Nous vivons continuellement en production de fictions… Vous pensez à présent au moment désirable où j’aurai fini de parler… C’est une fiction ! Nous ne vivons que de fictions, qui sont nos projets, nos espoirs, nos souvenirs, nos regrets, etc., et nous ne sommes qu’une invention perpétuelle. Remarquez bien, (j’y insiste), que toutes ces fictions se rapportent nécessairement a ce qui n’est pas, et s’opposent non moins nécessairement à ce qui est ; en outre, chose curieuse, c’est ce qui est qui engendre ce qui n’est pas, et c’est ce qui n’est pas qui répond constamment à ce qui est… Vous êtes ici, et tout à l’heure n’y serez plus, et le savez. Ce qui n’est pas répond dans votre esprit à ce qui est. C’est que la puissance sur vous de ce qui est, produit la puissance en vous de ce qui n’est pas ; et celle-ci se change en sensation d’impuissance au contact de ce qui est. Alors, nous nous révoltons contre le fait ; nous ne pouvons pas admettre un fait comme la mort. Nos espoirs, nos rancunes, tout cela est une production immédiate, instantanée, du conflit de ce qui est avec ce qui n’est pas.

Mais tout cela est en relation intime avec l’état profond de nos forces. Nous ne pouvons pas vivre, sans ces contrastes et ces variations, qui commandent toutes les fluctuations de la source intime de notre énergie, et en sont réciproquement commandés. De là naissent ou cessent nos actions. Mais, parmi ces actions, parmi les actions qui résultent de cette production constante de choses qui ne sont pas, ou y répondent, il en est qui se distinguent par leur intérêt immédiat et vital : ce sont celles qui tendent à modifier pour nos besoins les choses qui nous entourent. « J’ai soif, je prends un verre », j’agis… J’ai d’abord pensé que