Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/80

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par une modification ou réorganisation intérieure de celle-ci. Mais celui qui n’a pas compris, celui-là conserve et répète les mots. L’expérience est aisée...

Vous voyez donc que la perfection de ce discours, dont l’unique destination est la compréhension, consiste évidemment dans la facilité avec laquelle il se transmue en tout autre chose, en non-langage. Si vous avez compris mes paroles, mes paroles mêmes ne vous sont plus de rien ; elles ont disparu de vos esprits, cependant que vous possédez leur contre-partie, vous possédez, sous forme d’idées et de relations, de quoi restituer la signification de ces propos, sous une forme qui peut être toute différente.

En d’autres termes, dans les emplois pratiques ou abstraits du langage qui est spécifiquement prose, la forme ne se conserve pas, ne survit pas à la compréhension, elle se dissout dans la clarté, elle a agi, elle a fait comprendre, elle a vécu.

Mais au contraire, le poème ne meurt pas pour avoir servi ; il est fait expressément pour renaître de ses cendres et redevenir indéfiniment ce qu’il vient d’être.

La poésie se reconnaît à cet effet remarquable par quoi on pourrait bien la définir : qu’elle tend à se reproduire dans sa forme, qu’elle provoque nos esprits à la reconstituer telle quelle. Si je me permettais un mot tiré de la technique industrielle, je dirais que la forme poétique se récupère automatiquement.

C’est là une propriété admirable et caractéristique entre toutes. Je voudrais vous en donner une image simple. Imaginez un pendule