Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui oscille entre deux points symétriques. Associez à l’un de ces points l’idée de la forme poétique, de la puissance du rythme, de la sonorité des syllabes, de l’action physique de la déclamation, des surprises psychologiques élémentaires que vous causent les rapprochements insolites des mots. Associez à l’autre point, au point conjugué du premier, l’effet intellectuel, les visions et les sentiments qui constituent pour vous le « fond », le « sens » du poème donné, et observez alors que le mouvement de votre âme, ou de votre attention, lorsqu’elle est assujettie à la poésie, toute soumise et docile aux impulsions successives du langage des dieux, va du son vers le sens, du contenant vers le contenu, tout se passant d’abord comme dans l’usage ordinaire du parler ; mais il arrive ensuite, à chaque vers, que le pendule vivant soit ramené à son point de départ verbal et musical. Le sens qui se propose trouve pour seule issue, pour seule forme, la forme même de laquelle il procédait. Ainsi entre la forme et le fond, entre le son et le sens, entre le poème et l’état de poésie, une oscillation se dessine, une symétrie, une égalité de valeur et de pouvoirs.

Cet échange harmonique entre l’impression et l’expression est à mes yeux le principe essentiel de la mécanique poétique, c’est-à-dire de la production de l’état poétique par la parole. Le poète fait profession de trouver par bonheur et de chercher par industrie ces formes singulières du langage dont j’ai essayé de vous analyser l’action.

La poésie ainsi entendue est radicalement distincte de toute prose : en particulier, elle s’oppose nettement à la description et à la narration d’événements qui tendent à donner l’illusion de la réalité, c’est-à-dire au roman et au conte quand leur objet est