Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 2, 1931.djvu/62

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profonde de M. Teste qui m’appelle… Mais si vous saviez de quels noms !

I] n’y a pas de femme au monde nommée comme moi. Vous savez quels noms ridicules échangent les amants : quelles appellations de chiens et de perruches sont les fruits naturels des intimités charnelles. Les paroles du cœur sont enfantines. Les voix de la chair sont élémentaires. M. Teste, d’ailleurs, pense que l’amour consiste à pouvoir être bêtes ensemble, — toute licence de niaiserie et de bestialité. Aussi m’appelle-t-il à sa façon. Il me désigne presque toujours selon ce qu’il veut de moi. A soi seul, le nom qu’il me donne me fait entendre d’un mot ce à quoi je m’attende, ou ce qu’il faut que je fasse. Quand ce n’est rien de particulier qu’il désire, il me dit : Être, ou Chose. Et parfois il m’appelle Oasis, ce qui me plaît.

Mais il ne me dit jamais que je suis bête, — ce qui me touche bien profondément.

M. l’Abbé qui a une grande et charitable curiosité de mon mari, et une sorte de pitoyable sympathie pour un esprit si séparé, me dit franchement que M. Teste lui inspire des sentiments bien difficiles à accorder entre eux. Il me disait l’autre jour : Les visages de Monsieur votre mari sont innombrables !