Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 5, 1935.djvu/76

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En somme, l’immensité des armées, l’engagement total des nations, la fixation des fronts, l’emploi d’obstacles et d’armes qui interdisent le mouvement, la durée qui en résulta, et qui obligeait le commandement à se préoccuper de plus en plus de l’arrière, de la politique, de l’opinion, de la vie économique, tout enfermait les esprits directeurs des armées opposées dans les mêmes alternatives d’impulsions et d’objections, d’essais et de renoncements.

C’est pourquoi il n’a pas à rechercher trop profondément les raisons de la grande attaque de Verdun. Celles que les Allemands en ont données ne sont pas invincibles, n’étant pas d’ailleurs concordantes. La vérité semble fort simple. Il suffit de se mettre un instant à la place des hommes. On ne sait que faire, et il faut faire quelque chose. Grande et irrésistible raison. Rien ne s’impose. La stratégie est ligottée dans les réseaux. Jusqu’ici, toutes les offensives ont échoué. L’imagination défaillante ne sait plus suggérer que ce qu’elle a déjà conçu ; mais cette fois, on frappera beaucoup plus fort. C’est à une échelle démesurée que l’on va monter cette attaque. 400 000 hommes ; une artillerie incroyable, accumulée sur un point du front ; l’héritier de la couronne, pour chef ; une place forte de premier ordre, déjà illustre dans l’histoire, pour objectif, — et c’est la bataille de Verdun.

Bataille ?… Mais Verdun, c’est bien plutôt une guerre tout entière, insérée dans la grande guerre, qu’une bataille au sens ordinaire du mot. Verdun fut autre chose encore. Verdun, ce fut aussi une manière de duel devant l’univers, une lutte singulière, et presque symbolique, en champ clos, où vous fûtes le champion de la France face à face avec le prince héritier. Le monde entier contemple. Le combat, que chacun tour à tour engage ou sou-