Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/142

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flattent d’être connaisseurs du cœur humain ne séparent point la clairvoyance dont ils se piquent d’une disposition défavorable à l’égard des hommes. Ils ont la lèvre amère ou ironique. Rien, il est vrai, ne donne l’air psychologue comme l’attitude habituelle de déprécier. Voir clair, c’est voir noir, selon cette convention parfois commode.

Par là, (chose délicieuse aux amateurs de combinaisons), Beyle se range à la suite des Pères et des Docteurs les moins tendres et des maîtres les plus rigoureux de la théologie morale. La forme et l’intention sont bien différentes, mais le soupçon dans le regard et le désir presque coupable de conclure au pire sont les mêmes. Le pire est la nourriture des tempéraments critiques. Le mal est leur proie. Il leur faut donc qu’il soit la règle. Un psychologue à la Stendhal, tout sensualiste qu’il est, a besoin de la mauvaiseté de notre nature. Que deviendraient les hommes d’esprit sans le péché originel ?

Balzac, plus sombre encore, assemble autour de soi, pour se faire une idée plus approfondie, et comme plus mordue, de la société, tous ceux que leur métier fait observateurs et chercheurs d’infamies et de choses honteuses, le confesseur, le médecin, l’avoué, le juge et l’homme de police, tous préposés à déceler, à définir, et, en quelque sorte, à administrer toute l’ordure sociale. Parfois, quand je lis Balzac, j’ai la vision seconde, et comme latérale, d’une vaste et vivante salle d’Opéra, tout épaules, clartés, scintillations, velours, hommes et femmes du plus beau monde, exposés ou opposés à quelque œil extra-lucide. Un noir monsieur, fort noir, fort seul, contemple, et lit les cœurs de cette foule luxueuse. Tous ces groupes dorés de lumière aux riches ombres, ces visages, ces chairs, ces pierreries, ces mur-