Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/144

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le genre républicain d’Amérique aura triomphé partout. L’hypocrisie aura changé de masque.

Il faut cependant durer, traverser un demi-siècle. Comment traverser sans périr quarante ans de romantisme pour aborder à l’éternité littéraire ? Il faut qu’une chaîne d’amateurs, une secte des Heureux-peu-nombreux le conduise jusqu’au temps de Taine et de Paul Bourget, jusqu’au moment que ce poète nerveux, Nietzsche, slave de langue allemande, à qui l’idée de l’énergie plaira comme un toxique, transmutera en Bon Européen le cosmopolite à la Stendhal.



Ce fut un être bien divertissant que ce Beyle, habité d’une grande envie de scandaliser, jointe à des ambitions plus exquises. Il manque rarement de faire observer que l’on doit se formaliser de ce qu’il dit. Il n’est pas sans y avoir assez bien réussi. Il provoque les artistes par son style, les puissances par son irrespect, les femmes par son cynisme et ses systèmes. La faconde, les opinions, le toupet de cet homme de tant d’esprit font songer par moments à quelqu’un de ces commis voyageurs préhistoriques qui éblouissaient, excédaient leur coin de table d’hôte, au temps des dernières diligences et des premières locomotives. Mais ce Gaudissart descendu au Grand Hôtel de l’Europe et de l’Amour est un original du premier ordre. Ce qu’il débite vit, vivra et fera vivre. Sa camelote étincelante et singulière excitera bien des têtes philosophiques. Des hommes graves peineront pour se rendre lestes et nets comme lui.

Henri Beyle est à mes yeux un type d’esprit bien plus qu’un