Page:Valéry - L’Idée fixe.djvu/44

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— Eh oui… Comme dans le voisinage… Comme…

— Comme au-dessous ? — Sub ?

— Non. Pas Sub… A côté. Dans la pénombre de mon esprit… du moment.

— Pénombre ? Esprit ? Moment ?… Tout ceci n’est pas trop clair…

— Mais c’est par définition, que tout ceci n’est pas clair. Je ne puis dire que je préssens, sans dire que ce que je pressens n’est pas clair…

— Mais vous pouvez dire clairement ce que vous sentez comme pressentiment.

— Alors, je suis obligé d’user de comparaisons.

— Parbleu !

— Eh bien, — je vous disais que je pressentais ma pensée, — ou plutôt, ma parole prochaine, dans la pénombre de mon esprit du moment, — comme un objet que l’on appréhenderait et palperait au travers d’un voile…

— Une jolie femme ?

— Taisez-vous, explorateur !… Amateur patenté de douces rénitences !…

— Sans illusions, hélas… Les voiles ont du bon.

— Franchement, mon cher Docteur, je ne sais pas comment les médecins, et singulièrement les gynécologues…

— Gynécologistes…

— Gynécologistes, peuvent encore songer à…

— C’est une question… d’horaire.

— C’est merveilleux. Alors, ils ont un cycle professionnel, et un cycle…

— Fonctionnel.

— Il faut avouer que les mains sont des appareils extraordinaires… Le matin, professionnelles…

Et sur rendez-vous

— Et le soir, fonctionnelles… C’est merveilleux. C’est la pince universelle !

— Tiens, — et l’esprit ?

— Commence et finit… au bout des doigts.

— Oui, mais en attendant, vous fuyez mes questions. Vous intercalez des propos équivoques… Et moi qui vous écoute…

— Vous êtes bon.