Page:Valéry - L’Idée fixe.djvu/50

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— Et il y en a assez souvent, je crois ?

— Le ciel de l’esprit est surtout plein de perroquets. Il faut d’abord tuer ceux là… Et puis, apprivoiser les autres.

— Ah… vous tuez les perroquets ?… Mais vous êtes en chasse toute la journée, alors ?

— Assez souvent. Docteur ?… Vous m’en rabattez énormément.

— Moi ?… Ah ça, qu’est ce que vous entendez par perroquets ?

— Mon Dieu… Trois mots sur six. Environ. Tous les mots qui ne supportent pas le regard… central, sans dommage.

— C’est à dire ?

— Voyons… Supposez que vous placiez sous votre microscope une préparation, un petit objet… peu importe.

— Bien.

— Vous mettez au point. Vous voyez… ce que vous voyez. Peu importe.

— Bien. — Vous passez à un grossissement plus fort, et puis à un autre…

— Oui.

— Et vous constatez que vous obtenez une image de moins en moins nette. Et plus vous faites ce qu’il faut pour mettre au point, plus vague elle se fait… Voilà. La nébuleuse… s’obnubile !

— Et je vois un perroquet dans mon microscope ?

— Eh oui…

— Et c’est ainsi que vous traitez les malheureux mots ?

— C’est l’art de traiter les mots comme ils le méritent. C’est à dire de reconnaître leur valeur d’emploi dans un travail serré de l’esprit. Beaucoup sont contr’indiqués. Nous les avons appris ; nous les répétons, nous croyons qu’ils ont un sens… utilisable ; mais ce sont des créations statistiques ; et par conséquent, des éléments qui ne peuvent entrer sans contrôle dans une construction ou opération exacte de l’esprit, qu’ils ne la rendent vaine ou illusoire.

— Vous employez pourtant le mot Esprit ?

— C’est un énorme perroquet. Mais