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Page:Vallès - Les Réfractaires - 1881.djvu/33

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LES RÉFRACTAIRES.

Va, bois-en plein ton cœur, plein ton verre, pauvre diable, tu l’as bien gagné !

Interdites au réfractaire, les distractions pures, les joies fraîches !

Ces parties d’été dont parlent les livres, ces courses folles dans la campagne, les dimanches du bois de Crillon, les vendredis saints de Musette, j’en sais qui ne les ont point connus ! Si l’on avait vingt sous, c’était pour acheter du pain ou retirer une chemise. Le beau voyage sous un ciel de plomb, par des chemins pierreux, dans des souliers troués ! Ne pas pouvoir s’asseoir sous les tonnelles, boire un verre de vin jeune et manger des fraises ! S’en aller, à travers champs, la langue sèche, les pieds en sang, le ventre vide ! Inquiéter les populations, faire aboyer les chiens et réfléchir les gendarmes !

Un jour qu’on me savait cinq francs, quelques réfractaires me firent payer la campagne. Avec leurs cheveux longs, leurs mines hâves, leur gaieté lugubre, ils firent peur aux paysans. On se signait sur notre passage, on en parle encore dans Chatenay. On dit que des hommes venus on ne sait d’où passèrent en 18… dans le village, et qu’ils empoisonnèrent les fontaines…

Jamais un éclair de gaieté, un rayon de jeunesse ! pas même une fleur dans un verre, un œillet rouge,