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AUVERGNE

et de goûts artistiques, disent les uns, insensibilité et manque d’enthousiasme, affirment les autres. Pour nous, il est d’autres motifs du silence de la race. Une disposition particulière au petit négoce, l’isolement, l’ignorance de la beauté terrienne, le mépris de la tradition, et, par-dessus tout, ce besoin d’émigration qui jette l’Auvergnat sur divers points du continent, voilà qui occasionne son abstention dans le concert des Muses. « Riche ou pauvre, écrit M. Dumoulin dans son curieux ouvrage Les Français d’aujourd’hui, l’Auvergnat du village est « élevé avec cette idée qu’émigrer est un besoin, un devoir, le seul moyen d’acquérir ou d’augmenter l’aisance. Il en est de même de l’habitant des villes, plus cultivé, mais enclin à des spéculations plus hautes. Terre de héros et de savants qui s’enorgueillit d’avoir produit Grégoire de Tours, Jean Domat, Savaron, Montlosier, d’Aguesseau, Michel de l’Hospital, le pape Gerbert, Pascal, La Fayette, etc., des historiens, des jurisconsultes, des hommes d’État, des penseurs, des soldats ; de poètes, point. Elle n’a que faire de rêveurs. Seul, le xixe siècle échappe à la règle. Encore est-on à peu près sûr de trouver chez Jacques Delille, médiocre traducteur de Virgile, chez d’autres plus récents, l’érudit au lieu du lyrique. Mais, nous objectera-t-on, le xvie siècle n’a-t-il point apporté son tribut à l’œuvre commune, et la Renaissance ne doit-elle pas à l’Auvergne des écrivains notoires ? Qui cela ? Jean de Boissière, un méchant rimeur ; Durand de la Bergerie, traducteur et pasticheur de l’erotique latin Jean Bonnofon. Le premier est si peu poète, et le second si peu Auvergnat[1] ! Reste la poésie populaire, domaine des patois tant ignorés. Là encore, l’Auvergne ne brille guère au premier rang. C’est en vain que J.-B. Bouillet et M. Marc de Vissac, l’un dans son Album auvergnat et l’autre en une excellente étude consacrée au poète limagnien Amable Faucon, ont tenté de nous éclairer sur ce point ; ils n’ont réussi trop souvent qu’à dérouter notre curiosité. Parmi les auteurs qu’ils signalent (Bouillet illustre son commentaire d’une sorte de florilège), combien en est-il dont les noms sont dignes d’être retenus ? Qu’on en juge. Voici Pezaut de la Bantusse, lieutenant général de la prévôté de Clermont, au xvie siècle ; puis Nicolas du Bourg, châtelain de Villars. Leurs œuvres, hélas ! sont douteuses ou introuvables. Voici Joseph et Gabriel Pasturel ; Claude Laborieux,

  1. Gilles Durand prit l’Île-de-France pour décor de ses œuvres amoureuses. Après lui, il convient de signaler Vital d’Audiguier, et Anselme Gontard, l’ami de Guillaume Collelet, deux rimeurs clermontois, assez oublieux du pays natal. Le xviiie siècle nous fournit Danchet et Thomas, l’un appartenant au genre noble, l’autre au genre officiel, tous deux parfaitement ennuyeux et médiocres. Il y a encore Louis de Boissy, mais il n’écrivit que pour le théâtre.