Les miens et moi laissons nos cœurs monter vers Dieu,
Et prions aux lueurs indécises du feu,
À peine rougeoyant sous la cendre fumante,
Pour ceux qu’ensevelit, tout vivants, la tourmente…
Nos émigrants d’antan étaient de fameux hommes ;
Ils allaient en Espagne à pied ; les plus cossus
S’achetaient un cheval barbe, montaient dessus,
Et partaient. Travailleurs, ardemment économes,
La plupart, au retour, rapportaient quelques sommes,
Quadruples et ducats, dans la veste cousus,
Et qui, par la famille, étaient les bien reçus.
Alors on n’était pas douillet comme nous sommes :
Après tout un long jour de fatigue, on avait
La selle du cheval pour unique chevet ;
On partageait un lit de paille rêche et rare
Avec des muletiers, grands ràcleurs de guitare,
Des arrieros nourris de fèves et d’oignons,
Et l’on dînait avec ces frustes compagnons.
Le même plat pour tous, pour tous la même gourde.
Pleine d’un vin épais qui sentait le goudron ;
Et tous l’on s’empiffrait, à même le chaudron,
De pois chiches très durs et de soupe très lourde.
Autour du puchero l’on s’asseyait en rond,
Et chacun racontait son histoire ou sa bourde ;
Trop heureux quand un merle, une alouette, un tourde,
Venait corser un peu le menu du patron.
L’escopette pendue à l’arçon de la selle,
Et fiers de n’avoir guère allégé l’escarcelle.
Les émigrants étaient dehors au point du jour.