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AUVERGNE

À travers les taillis un merle noir zigzague ;
Un renard passe, un geai criard prend son essor.

Une vache, d’un front hardi brisant les branches,
Apparaît ; sa clochette a des sons de cristal ;
Le bois s’éclaire : un pré verdoie ; et le Cantal,
Au fond de l’horizon, hausse ses cimes blanches.

Mur géant où la neige a mis son badigeon,
Il fait songer à quelque énorme forteresse ;
Et le puy de Griou, qui fièrement s’y dresse,
Conique et pointu, semble en être le donjon.

Au second plan, ce sont des champs creusés d’ornières.
Des buttes, des hameaux dans chaque pli du sol,
Et des châteaux : Leybros, Cologne, Espinassol ;
C’est Vielles, grise et rouge, au flanc de ses marnières ;

C’est le Mons, haut perché comme un nid de busard.
Dans des feuillages d’or, au creux d’une colline,
Dont le penchant herbeux vers le Midi s’incline,
Messac se chauffe en plein soleil, comme un lézard.

Le vallon s’élargit : sous le saule et le vergne,
Le ruisseau d’Authre, clair et frais, court mollement,
Et transforme en un gai paysage normand,
Très vert et plantureux, ce petit coin d’Auvergne.

Poussant des bœufs pourprés dans le brun des labours,
Et tranchant le genêt, déracinant la brande.
Les bouviers du pays partout chantent la Grande[1]
À pleins poumons. — Ils ont, comme les guerriers boërs,

D’épais colliers de poil tout autour des mâchoires,
Ils s’attachent aux reins un tablier de peau ;
Et, sur leurs crânes ronds de Celtes, un chapeau
Ouvre, énorme el velu, de larges ailes noires.

À leurs chants, que nota quelque vieux ménestrel,
Ils mêlent par instant, de sonores vocables ;
Et les bœufs, entendant Yé Bourro ! yé Queirel !
Font saillir des tendons aussi gros que des câbles.
 
Des pastoures au teint brun comme du pain bis,
Et dont le soleil baise à même l’encolure,

  1. Mélopée montagnarde. Voyez page 84.