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LES POÈTES DU TERROIR

clerc en fait de lettres, s’y connaissant et faisant lui-même des vers ». Nous ne savons si c’est à une telle source que le lyrisme a puisé, mais la poésie locale, en Béarn, a gardé une distinction, une grâce polie qui sent plutôt son air de cour que la rusticité. On sait peu de chose sur son évolution avant la Renaissance. Au xvie siècle, le Béarn s’est légèrement francisé. La cour galante et lettrée de Marguerite de Valois se montra accueillante aux poètes de France, fuyant les persécutions, et sous les ombrages de Pau, observe M. Louis Batcave[1], au travers des méandres onduleux du parc du château, se murmuraient bien des rimes françaises. Le dialecte n’était pas non plus oublié : tout comme la littérature officiellement admise, il avait ses adeptes fervents et ses interprètes. À en croire une tradition qui s’est perpétuée, Jeanne d’Albret aurait invoqué, sur un thème populaire qui se chante encore de nos jours, Nouste-Dame don cap dou pount[2] pour la naissance de Henri, le futur roi de France. Et tandis qu’un aumônier de cette dernière, Arnaud de Salette, s’appliquait à traduire en dialecte les psaumes du roi David, un chanteur bien intentionné consacrait à la célébration du terroir un volume entier. Ce livre, fort peu connu des bibliophiles, et moins encore des historiens, parut en 1551 sous ce titre : Odes du Gave, fleuve en Béarn, avec les tristes chans à sa Caranite, par Bernard du Poey, etc.[3]. Son auteur, assez obscur, et digne de l’être, était un gentilhomme de Luc. On l’appelait communément du Poy Monclar, sur ce qu’il avait passé sa première enfance à Monclar, où sa famille possédait quelque bien. Œuvre médiocre en réalité, et peu digne de voir le jour, cet éloge du Gave s’impose néanmoins comme le premier ouvrage en rime française publié en Béarn. Il faut le dire, l’apport de la littérature béarnaise jusqu’à la fin du xviie siècle est peu considérable, et le bagage des poètes ne dépasse pas souvent une honnête médiocrité. L’art en ce lieu

  1. Esquisse d’une histoire de la littérature béarnaise. Nous devons beaucoup à cet ouvrage inédit, que son auteur, aussi érudit que bienveillant, nous a communiqué.
  2. Notre-Dame du bout du pont. C’est le premier vers de ce huitain célèbre qu’on trouvera dans les recueils de Vignancour, sous ce titre : Cantique entonnat per Jeanne d’Albret en accouchan d’Henric IV. (Voyez entre autres l’édition des Poésies béarnaises de 1852.)
  3. À Tolose, par Guyon Boudevillc, 1551, in-12. Un exemplaire à la Bibliothèque de l’Arsenal, B. L., 8863. Voici un spécimen de la poésie de Bernard du Poey :

    Gave de source argentine,
    De tout le pavs l’honneur.
    Qui par ton eau cristalline
    Sur tous fleuves es seigneur,

    Gave flottant doucement.
    Aymé des Muses pignées.
    Qui prens cours heureusement
    Des montagnes Pyrénées,

    Gave par Bearn passant
    Qui arrousos le vignoble,
    Plus que voirre reluisant.
    Tu es fameux et très noble…