Page:Van Bever - Les Poètes du terroir, t1, Delagrave.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
LES POÈTES DU TERROIR

lustre humaniste italien, que Ronsard et Antoine de Baïf avaient tenté, sans grand succès, de transporter en français, il apparaît comme le thème initial, le spécimen le plus parfait de toute la poésie béarnaise des temps modernes. On ne l’a point oublié, et tout bon Méridional s’en souvient à l’occasion. Qu’on en juge :

Quoan lou Printemps, en raübe pingourlade,
A heyt passa l’escousou deüs grands rets,
Lou cabiroü, per boums et garimbets,
Saüteriqueye, aü mietan dé la prade.

Aü bèt esguit de l’aübe ensafranade,
Prenen la fresque aü loung deüs arribets,
Mirailla es ba dehens l’aygue aryentade ;
Puch seü tucoü, hé cent arricouquets.

Deüs cas courrons, craing chic la clapiteye ;
Eth se tien saüb : més en tan qui houleye,
L’arquebusé lou da lou cop mourtaüi.
 
Ataü bibi, chens tristesse, ni mieye,
Quoan ü bet oueil m’ana hà per enbeye,
Aü miey deü cô, bère plague leyaü.[1]

Lorsque, dans la seconde moitié du xviie siècle, Jean-Henri de Fondeville s’essaya en un genre appelé à devenir notoire, il ne fit que suivre la voie tracée par Gassion. Non qu’il ait emprunté à cet aîné ses ressources originales, mais il exploita après lui un domaine accessible au goût traditionnel. Fondeville a cultivé avec un égal mérite presque tous les genres, depuis la pastorale jusqu’à la satire religieuse. Il a fait l’admiration de ses contemporains en écrivant la Pastourale deü paysan, farce dans le goût moliéresque dont la représentation sur des théâtres de plein air a réuni sans cesse les suffrages du peuple. Enfin, on lui doit encore des poèmes de circonstance, et nul doute qu’il fût considéré comme un des créateurs de la poésie bucolique, si son œuvre était arrivée au complet jusqu’à nous. Il est temps de l’observer, les auteurs béarnais, désireux surtout de réjouir ou d’émouvoir leurs contemporains, se soucièrent assez peu de recueillir leurs ouvrages. Aussi ces derniers se perdirent ou vinrent grossir le patrimoine anonyme de la littérature populaire. C’est dans ce patrimoine qu’il faut rechercher les

  1. Voici la traduction de ce poème :

    Quand le printemps, en robe émaillée, — A fait passer la rigueur des grands froids, — Le chevreuil, par sauts et par bonds, — S’ébat au milieu de la prairie,

    Au beau lever de l’aube dorée, — Il prend le frais le long des ruisseaux ; — Il s’avance dans l’onde argentée ; — Puis il fait cent gambades sur le pré.

    Des chiens courants il eraint peu les aboiements : — Il se croit bien sûr ; mais pendant qu’il folâtre, — Le chasseur lui donne le coup mortel.

    Ainsi, je vivais sans tristesse ni douleurs. — Quand un bel œil s’en vint par jalousie me faire, — Au beau milieu du cœur, une profonde blessure.