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LES POÈTES DU TERROIR

de moins compliqué. Ce qui surprend, ce qui enchante, dès le début, dans Jammes, c’est l’accent de vérité, d’exactitude émouvante. À une époque où se multipliaient les écoles de lettres, l’étonnement fut profond de voir un poète qui — dès le début de son œuvre — se manifestait si purement personnel, si ingénument vrai. Lui-même, avec ardeur, réclame sa liberté : « Ma « forme, dira-t-il au début du Deuil des Primevères, suit ma sensation agitée ou calme. Je ne m’inquiète point de plaire[1]… »

Ailleurs, il se montrera l’interprète le plus éloquent des mille choses de la nature.

« Cet exquis réalisme de poète…, cet appel si neuf à la sincérité, jamais Jammes n’a dû en exprimer mieux l’accent que dans ces vers, les premiers de Jean de Noarrieu :

Mon Dieu, donnez-moi l’ordre nécessaire
à tout labeur poétique et sincère…
Je veux ici, puisqu’il faut commencer,
ne point poser à faux dans l’encrier
ma plume. Et comme un adroit ouvrier
tient sa truelle alourdie de mortier,
je veux d’un coup, à chaque fois, porter
du bon ouvrage au mur de ma chaumière…

Cette chaumière de Jammes, toute pépiante d’oiseaux, bourdonnante de guêpes et que les roses entourent, elle est, dans le jardin sonore de ruches, ombragée d’un pin, sur les pentes d’Orthez. La campagne s’étend alentour coupée par le Gave, arrosée des torrents ; ici sont les villages et là-bas sont les fermes ; les troupeaux gravissent les flancs des montagnes ; les carrioles mènent les paysans au marché du bourg ; une charrue trace un sillon dans la plaine ; le soleil a chauffé les graines dans la terre ; la pluie lui succède ; les prunes du verger sont bleues ; une fille en foulard chante dans la venelle, et le mendiant aigre a passé sur la route. Tout cela c’est de la pauvre poésie rurale ; mais c’est de cette poésie que l’âme de Jammes est faite. Ecoutez ; il sait le secret des saisons :

L’été nous donnera les pèches de la vigne, etc.

Il sait celui des mois, et qu’en avril on trouve des lychnis à l’ombre, que septembre doré est « couronné d’abeilles », qu’à la fin de l’hiver les pervenches bleu de lait, les violettes noires, paraissent sous les feuilles mortes de l’ancienne année. En automne les vignobles ont mûri, les batteuses ont battu sur l’aire ; à la Toussaint, on rouvre les granges aux troupeaux. Et Jean de Noarrieu, dans sa métairie, ne sait pas d’autre joie que celle d’admirer, dans la fuite du temps, le retour des fleurs, le départ

  1. Ed. Pilon, Francis Jammes.