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XIII
INTRODUCTION

au terroir. Qui dira ce que nos écrivains illustres ont emprunté à l’obscur génie de la glèbe ? Les meilleurs vers d’un Ronsard, pour ne citer que ceux-là, abondent d’expressions villageoises, d’images rustiques où se reflète l’aimable sentimentalité du paysan vendômois. Le reste n’est que de la virtuosité, de l’érudition et de cette politesse acquise au contact d’une société d’élite.

« On pourrait tracer, s’écrie M. Charles Brun [1], une histoire littéraire inconnue ou méconnue qui n’aurait pas moins d’attraits que l’officielle. La Monnoye et Goudouli ont écrit aux siècles classiques. »

En vain dira-t-on que l’œuvre d’un caractère nettement régional est inférieure parce qu’elle rétrécit le domaine de notre vision, et incompréhensible pour les non-initiés au terroir qu’elle exalte. Est-ce à dire qu’il faille condamner une production sur ce qu’elle offre d’original et parce qu’elle ne satisfait pas les exigences de certaines âmes ? À quoi se rattachent-ils donc, ceux-là, pour n’avoir pas la faculté de saisir aussi bien la grâce sylvestre d’un Béarnais que la sensualité mystique d’un Breton ? Le souffle de toutes nos provinces passe dans l’Âme française et la fait vibrer harmonieusement. Les formules entrent les unes dans les autres. Il n’y a pas de génie universel qui ne porte la marque de son origine. N’opposons pas chez le concepteur les dons de la civilisation et ceux que lui a départis la nature. Il y a sans doute deux courants, l’un ascendant, en avance sur nos idées actuelles, et l’autre attardé aux rives du passé. Faut-il confondre ces deux sources parallèles, mais inégales, torrent impétueux et rivière à demi tarie, dont les eaux ne se réuniront jamais ? Faut-il frapper de discrédit des ouvrages étincelants parce que des faussaires ont dénaturé l’œuvre des maîtres et fait du Marot, du Ronsard, du Mathurin Régnier, après Marot, Ronsard et Régnier ? Faut-il marquer de stérilité nos patois naguère encore si savoureux, parce que de méchants rimeurs ont infligé à leurs parlers locaux l’imitation des Grecs et des Latins et mis en vers gascons, limousins, etc., Homère,

  1. Les Littératures provinciales, etc. ; Paris, Bloud et Cie, 1907, in-16.