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LES POÈTES DU TERROIR

voix chevrotante s’élève d’abord timidement, comme un son de cornemuse que l’on accorde ; puis, peu à peu plus assurée, elle monte, s’élance, plane, pour se fondre dans un murmure très doux qui la fait paraître très lointaine. C’est la vie du laboureur qu’évoque ainsi le briolage ; la vie besogneuse et belle de la plèbe, les durs travaux sous les averses de pluie et de rayons ; c’est l’âme des champs tout entière qui passe sur l’aile du briolage, du chant solennel de la Terre ! »

Toute la poésie berrichonne est là : nous entendons la poésie locale, intime, celle qui s’apparente aux patois.

Ici, observe Jaubert, dans son Glossaire du centre de la France, le parler est lent, mais non sans grâce. « L’habitant des campagnes est paisible, circonspect et narquois, et l’on prendrait une idée inexacte de son caractère si l’on en jugeait d’après l’abondance des termes qui servent à exprimer tous les degrés de la ruse. » La situation du Berry sur les confins des langues d’oc et d’oïl, a-t-on dit, explique l’ancienne richesse de son patois. Il méritait d’autant plus de fixer l’attention des philologues qu’il fut en quelque sorte le dernier abri du français qui se parlait au temps de la Renaissance. C’était tout à la fois la langue de Jehan de Meung, de Marot, de Rabelais et de Joachim du Bellay, d’illustre mémoire. Langue d’oc et langue d’oil se sont fondues dans le bas Berry pour former un vocable berrichon-marchois où se retrouvent maintes expressions méridionales. Aujourd’hui que les idiomes tendent à disparaitre, chassés par l’uniformité de la langue classique et des mœurs nouvelles, on en est à regretter toute une littérature, où se complaisait l’âme des humbles. Le Berry, plus qu’aucune autre province, a subi la dure loi du sort. Veut-on se faire une idée de cet aucien français savoureux du Centre, si particulier, et dont, en son temps, George Sand déplorait déjà la décadence ? Nous possédons un curieux document publié jadis dans le Courrier de Bourges et réimprimé diverses fois pour les besoins de la cause des dialectes, si chère à tout bon Berrichon. C’est un simple pastiche d’une poésie de Victor Hugo, dû à la verve d’un poète du cru, Théophile Duchapt[1], connu depuis pour avoir fait paraître un recueil de fables et de pièces diverses. Il a pour titre La Marivole. Le voici dans toute sa verdeur gauloise :

A m’dit : « J’ai sientu qu’ça m’bouge
Et qu’ça m’gravoill’ sus l’cacouet. »

  1. Né à Bourges, le 4 juillet 1802, Théophile Duchapt exerça successivement les fonctions d’avocat, de conseiller général de préfecture, de juge au tribunal, et enfin de conseiller à la cour de sa ville natale. Il mourut à Bourges, en 1858. Ses poésies françaises, et en particulier ses Fables, publiées a Paris, chez Hachette, en 1850, sont faibles.