Page:Van Bever - Les Poètes du terroir, t1, Delagrave.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
173
BERRY

J’arr’garde et j’voyis qu’ça l’tait
Un p’tit bestiau noir et rouge.

J’aurais dû, mais, jarnigoi,
Quand on n’sait pas qu’oun est bête !
Pas si ben voir la p’tit bête
Et mieux voir son p’tit bigeoi.

Ça I’tait coume eun’gent’coquille
Gariolée, et les pinsons,
En reuillant ça c’que j’fasions,
S’fougaliont dans la charmille.

Ses lévr’s si fraich’étiont là,
Mais, que l’grand diach’m’estringole !
J’pernis, moi la marivole,
Qui m’dissit, sus ç’coup d’temps là :

« Accout’, tu ne l’sais pas p’tète,
Mon nom ? C’est bête à bon Dieu :
Mais toi, vois-tu, nom de guieu !
Je n’sais pas d’qui qu’t'es la bête. »

Il ne faudrait pas croire qu’un tel texte est exceptionnel. Le Berry abonde en chansons populaires ; il a ses rondes, ses légendes, ses proverbes. A côté du refrain berriaud, d’humeur frondeuse, d’une grivoiserie prime-sautière et naïve, à côté des licencieuses chansons à boire, dignes du génie rabelaisien, on trouve aussi l’accent mélancolique de certains airs gaëliques et des anciens chants d’Irlande. Le pur français a, sur ce sol, une originalité et mille grâces qu’on chercherait en vain ailleurs, et, même lorsqu’il n’est pas émaillé de ces locutions heureuses dont il n’existe peut-être nulle part l’équivalent, il a encore son caractère propre. Il y a une telle parenté, nous l’avons dit, entre le patois du Centre et le vieux langage d’Ile-de-France et des bords de la Loire, qu’on demeure surpris que la langue nationale n’ait pas emprunté davantage au glossaire berrichon. Ici les mots ont une verdeur, un parfum de terroir, qui fait leur charme et séduit les plus indillérents. L’œuvre rustique d’un George Sand fourmille d’images pittoresques, de locutions saisissantes, de vieilles maximes du Boischau. Le Petit Dictionnaire de Jean Tissier, les chansons des envirous d’Issoudun et de Chantome, recueillies par Pierre de Lajoe[1], vingt autres textes, auxquels s’ajoute naturellement l’excellente étude de Hugues Lapaire sur le patois berrichon, sont autant de spécimens intéressant la linguistique de ce pays, où l’on entend, dit-on, rouler les r avec le mème plaisir que Dante lorsqu’il entendait résonner le si des belles contrées de la Toscane.

Mais qu’est-ce qu’un choix de commentaires à côté du bagage des poètes ? Ici, bien que peu nombreux, ces derniers n’ont cessé

  1. Réveil de la Gaule, 1893.