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LES POÈTES DU TERROIR

qui lui restent. Tandis qu’une fraction lettrée de la population indigène s’attache à conserver le génie du pur français, une autre fraction, celle-là plus étendue, composée du peuple des campagnes, fait prédominer l’ancien dialecte. Des œuvres, en trop petit nombre peut-être, mais d’une réelle signification, ont surgi, les premières pour célébrer en rythme éloquent la beauté des sites, les secondes pour traduire sous une forme scénique les coutumes et les usages du terroir. Ces dernières ne vont point sans incliner à la satire, mais, il est bon de l’observer, la verve caustique alsacienne vise surtout les ridicules de l’oppresseur.

Il faudrait un cadre plus large que le nôtre pour établir les origines littéraires de l’Alsace. Nous nous contenterons d’une simple esquisse. Quoi qu’en disent certains historiens germains, depuis la conquête des Gaules par les Romains, les habitants de cette province n’ont cessé d’être en contact avec ceux de l’Île-de-France. « Les Alamans ou Souabes qui se rendirent maîtres du pays, au milieu du Ve siècle, quand l’empire romaine commençait à se désagréger, écrit M. Henri Albert, s’appelèrent eux-mêmes elisâzon, soit, selon l’interprétation de certains étymologistes, résidents à l’étranger. Ils ne conservèrent pas longtemps leurs possesions : les Francs de Clovis les battirent en 496, à Tolbiac, près de Cologne ; après quoi, l’Alsace appartint au royaume franc jusqu’au IXe siècle, restant pendant toute cette époque gauloise ou welche. Mais les elisâzon avaient laissé leur nom au pagus Alsacinsis. Le traité de Mersen (870) donna l’Alsace à Louis le Germanique, et ce fut alors seulement que les populations de ces contrées commencèrent à parler allemand[1]. »

On connaît le plus ancien document de langue romane : c’est le serment carolingien de Strasbourg, échangé en février 842 entre Louis le Germanique et Charles le Chauve. Les savants allemands reconnaissent eux-mêmes que la belle civilisation des Hohenstauffen, seule période florissante pour l’Alsace germanique, était d’origine et d’expression françaises ; elle venait de l’ouest et traversait la vallée du Rhin. De nombreux monastères possédaient des domaines en Alsace, et des moines latins s’établissaient parmi une population encore a demi barbare.

Dès la Renaissance, a-t-on observé, un mouvement se dessine qui tend à rendre plus intimes encore les rapports de ce pays avec le royaume de France. Strasbourg, ville libre, jouissant du droit de paix et de guerre, correspond avec François Ier, qui l’appelle « ma très chère et grande amie ». L’ordre latin est alors tout-puissant ; il domine. Quand l’Alsace devint française,

  1. Voy. l’ouvrage de M. A. Nystroom, L’Alsace-Lorraine, etc, p. 21.