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LES POÈTES DU TERROIR

À MA BONNE AMIE
en lui envoyant une caisse de moyeux de dijon


Voici des fruits qu’un amant vous envoie.
Ce joli nom doit les faire accepter :
Recevez-les avec autant de joie
Que j’en ressens à vous les présenter.
Ils ne sont plus tels que Pomone
Se plut à les former autrefois de ses mains,
Dans le terroir heureux[1] où l’amant d’Origone[2]
Se fait adorer des humains.
Ils ne sont plus tels que, dans la contrée
Qu’arrosent les eaux du Lignon,
À son incomparable Astrée
Les offroit le beau Céladon.
Sur ces bords innocens et si dignes d’envie,
Tout étoit naturel, et les fruits et les fleurs,
Et les visages et les cœurs :
Aujourd’hui tout se falsifie.
Plus de simplicité : le vain rafinement
Par tout règne avec l’imposture :
Le travail humain défigure
Tout ce que, dans le sien, Pomone a d’agrément.
Les ouvrages de Flore et de son jeune amant
Sont le jouet de la peinture ;
Et l’art s’arroge impunément
Le triomphe de la Nature.
Ceci n’est presque plus un fruit.
Son vrai goût, sa couleur, hélas ! tout est détruit !
Ce que vous en voyez n’est dû qu’à l’artifice :
Son mérite n’est plus qu’un mérite factice ;
L’art n’a plus rien laissé de naturel en lui :
A combien de Beautés et d’amours aujourd’hui
Ne rend-il pas ce malheureux office ?

{Œuvres choisies, Londres, 1782.)



  1. La Bourgogne.
  2. bacchus.