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BOURGOGNE

Et s’en va, du côté du levant, sous les joncs.
Sous l’aulnaie, où la sève éclate en frais bourgeons,
Fière de son moulin et du vieux pont qui s’arque,
Gardant bien une nasse et révant d’une barque,
Reflétant les troupeaux, qui troublent son miroir.
Sombre sous un ciel bleu, claire sur un fond noir,
Calme, mais se ridant d’une feuille qui tombe,
Et prête à s’effrayer d’un saule qui surplombe,
Au large flot de Saône épancher le tribut
Des quatre gouttes d’eau que le sol n’a point bu.
Et comme tôt ou tard aussi bien l’on arrive,
Elle s’attarde, en route, aux choses de la rive,
À l’ilot qu’elle prend dans ses bras, aux buissons
De douce-amère, aux nids bruissants de chansons,
Sinueuse à plaisir, et si lente en sa course
Qu’on ne sait, à la voir, de quel bout est sa source…

(Poèmes de Bourgogne ; 1889.)



MA RUCHE



<poem>Ma ruche est en Bourgogne : abeille, j y connais
Toutes les fleurs du sol qu’enfant je butinais,
Toutes les fleurs de l’art, autre divine flore,
Fille du sol aussi, que l’esprit fait éclore !
Je vais de l’une à l’autre à travers monts et bois,
Et dans leur pur calice avidement je bois ;
Mon âme de leurs sucs avec amour s’enivre,
Et mon cœur les emporte où le sort me fait vivre,
Loin de mon toit aimé, de mes champs, de mon ciel,
Et du mieux que je puis j’en fais un peu de miel.
À ce travail doré tout mon exil s’enchante ;
Il n’est plus à mes yeux d’âme vile ou méchante ;
Les hommes et les cieux m’apparaissent moins noirs,
Et je vis dans l’oubli des frelons et des loirs.
Je songe à mon rucher qui m’attend sous les treilles,
À ma cellule vide, à mes sœurs les abeilles,
Au jardin bourdonnant qui dit : « Quand revient-il ?
Puisqu’il nous aime tant, par quel détour subtil
Va-t-il nous expliquer qu’il nous est infidèle ?
Peut-on aimer sa ruche et vivre ainsi loin d’elle ? »