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LES POÈTES DU TERROIR

Et, sous sa jupe blanche arrangeant ses genoux,
Avec son doux parler elle me dit : « C’est vous ! »
 

*

Un jour que nous étions assis au pont Kerlô,
Laissant pendre, en riant, nos pieds au fil de l’eau,
Joyeux de la troubler, ou bien, à son passage,
D’arrêter un rameau, quelque flottant herbage,
Ou sous les saules verts d’effrayer le poisson
Qui venait au soleil dormir près du gazon ;
Seuls en ce lieu sauvage, et nul bruit, nulle haleine
N’éveillant la vallée immobile et sereine,
Hors nos ris enfantins, et l’écho de nos voix
Qui partait par volée et courait dans les bois,
Car entre deux forêts la rivière encaissée
Coulait jusqu’à la mer, lente, claire et glacée ;
Seuls, dis-je, en ce désert, et libres tout le jour,
Nous sentions en jouant nos cœurs remplis d’amour.
C’était plaisir de voir sous l’eau limpide et bleue
Mille petits poissons faisant frémir leur queue.
Se mordre, se poursuivre, ou, par bandes nageant,
Ouvrir et refermer leurs nageoires d’argent ;
Puis les saumons bruyants ; et, sous son lit de pierre,
L’anguille qui se cache au bord de la rivière ;
Des insectes sans nombre, ailés ou transparents,
Occupés tout le jour à monter les courants ;
Abeilles, moucherons, alertes demoiselles.
Se sauvant sous les joncs du bec des hirondelles.
Sur la main de Marie une vint se poser.
Si bizarre d’aspect qu’afin de l’écraser
J’accourus ; mais déjà ma jeune paysanne
Par l’aile avait saisi la mouche diaphane,
Et voyant la pauvrette en ses doigts remuer :
« Mon Dieu ! comme elle tremble ! oh ! pourquoi la tuer ?»
Dit-elle. Et dans les airs sa bouche ronde et pure
Souffla légèrement la frêle créature,
Qui, déployant soudain ses deux ailes de feu,
Partit, et s’éleva joyeuse et louant Dieu.

Bien des jours ont passé depuis cette journée,
Hélas ! et bien des ans ! Dans ma quinzième année,