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BRETAGNE

Aux grands chapeaux tombants, aux larges pantalons ;
Leurs filles aux yeux noirs, brunes, en coiffe blanche,
Le matin à la messe arrivant le dimanche ;
Les douaniers en vert ; et les jeunes marins
Avec leurs gilets bleus, avec leurs souliers fins.
Je revois le chemin qui mène aux métairies,
La vieille épine blanche aux branches si fleuries !

Oh ! l’heureux temps passé ! pourquoi fut-il si court ?
Qu’il était solitaire et calme, mon vieux bourg !
Comme il surgissait bien de la Loire profonde !…,
Puis mon père l’aimait par-dessus tout au monde.
C’était là son regret, son vœu pendant dix mois ;
Il y rêvait sans cesse, il en parlait cent fois
Dans la journée ; et quand approchait la vacance,
11 en était joyeux trois semaines d’avance ;
Lorsque arrivait enfin le jour si désiré,
Depuis longtemps déjà tout était préparé,
Et de bien grand matin nous montions en voiture ;
Quel bonheur il avait, quand, comme une ceinture,
Le soir du second jour, du revers du coteau
Il voyait au lointain onduler la belle eau,
Poindre en l’air le clocher qu’un vent éternel penche,
Et tout au bout du bourg grandir sa maison blanche !
Pauvre père ! c’est lui qui planta les sapins,
Les saules, les cyprès, les mélèzes, les pins,
Pour garder le pignon des vents brûlants d’orage ;
C’est lui qui, pour moi seul chérissant son ouvrage,
Entoura le jardin de grands murs, d’espaliers,
Et qui mit dans le haut le rang de peupliers ;
C’est lui qui fit planter la solitaire allée
Des tilleuls, où si douce est la nuit étoilée ;
C’est lui qui m’enferma de fleurs les six ormeaux
Où je venais rêver des vers sous les rameaux !
Pauve père ! C’est là qu’un jour, jour que je pleure,
Au mois de juin, à l’aube et vers la troisième heure,
Il rendit sa belle âme, en repliant sa main
Jusqu’à son cœur, cherchant à m’y presser en vain !
Pauvre père ! c’est là que dans le cimetière
De l’église rustique il repose en sa bière.
Le sol de son pays à ses os n’est pas lourd…