Page:Van Bever - Les Poètes du terroir, t1, Delagrave.djvu/461

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
439
BRETAGNE

LA BATAILLE DE CARNAC


Les Bretons d’outre-mer et ceux de Breiz-Izel
Se sont rencontrés, là, dans un terrible duel,
Dans un égorgement qui dura trois journées.

La bataille remonte à quatre mille années.

Ceux d’outre-mer, vautours voraces et pillards,
Arrivaient du pays des frigides brouillards,
Innombrables, sur leurs innombrables pirogues.
À l’avant des esquifs, aboyaient d’affreux dogues
Qui semblaient échappés d’abîmes infernaux.
Toute la mer était noire de leurs canots,
Des troncs d’arbres géants, creusés par des colosses.
Là dedans entassés, pirates et molosses,
Montraient les crocs, tendaient les poings, criaient, hurlaient.

Sur la côte, où les flots roulaient et déferlaient,
Cinq cent mille Bretons occupaient le rivage.
Eux aussi, maintenant, poussaient leur cri sauvage ;
Et, courant dans le flot, montant sur les récifs,
Semaient, furieux, vers ces dix mille esquifs.

Comment dire, comment concevoir, même en rêve,
Ce choc d’un million d’hommes, sur cette grève ;
Ce ciel morne, ce sol lugubre, ces clameurs
Parmi le vent, parmi la mer et ses rumeurs ?
Ce fut une mêlée, un corps à corps de fauves,
De Bretons chevelus et d’Angles têtes chauves.
Ces brutes se battaient, des silex à la main,
Avec d’horribles cris qui n’avaient rien d’humain.
Se défonçant le crâne à coups de casse-têtes.

Et sous ce lourd piétinement d’hommes, de bêtes,
Sous ce monceau de morts, dont le sang ruisselait,
Le sol d’Armor, ce sol au cœur si dur, tremblait.

Le long des côtes, par les landes, sur la grève,
Durant trois jours, le duel continua, sans trêve.

Or, le troisième jour, au coucher du soleil.
Quand l’Astre, épouvanté d’un massacre pareil,